De grands projets? Pas sans télécommunications

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PAR ROBERT GHIZ

Le Canada vient d’entrer dans une ère de grands projets d’intérêt national de toute nature. De l’expansion de la production de gaz naturel liquéfié à la construction d’un train à grande vitesse entre Toronto et Québec, en passant par la mise en valeur des minéraux critiques et les nouvelles installations portuaires, les différents ordres de gouvernement, à juste titre, se concentrent sur de vastes chantiers ayant le pouvoir de transformer notre économie et de consolider notre place sur l’échiquier mondial.

Un aspect de ces grands projets semble cependant négligé : aucun ne connaîtra le succès espéré sans des réseaux de télécommunications de calibre mondial.

Les infrastructures de télécommunications ne servent pas uniquement à donner accès à Internet ou aux services mobiles; il s’agit ni plus ni moins de l’épine dorsale – numérique – sur laquelle repose tout ce qui contribue à une économie moderne. Au même titre que les capteurs utilisés dans les mines, les systèmes de pilotage automatique dans les terminaux portuaires et les processus d’analyse de donnée de pointe assurant l’efficacité des projets énergétiques, les réseaux de télécommunications sont l’infrastructure essentielle qui permet à tout le reste de fonctionner. Sans ces réseaux, les projets d’intérêt national envisagés risquent d’être désuets avant même leur lancement.

Les fournisseurs canadiens de services de télécommunications investissent depuis longtemps dans les réseaux nécessaires à la réalisation de ces projets. Au cours des dix dernières années, les entreprises du secteur ont injecté plus de 130 milliards de dollars dans la construction et la modernisation des réseaux sans fil et filaires. Grâce à ces investissements, le Canada possède aujourd’hui des réseaux de télécommunications parmi les plus rapides et les plus étendus du monde.

Les entreprises et les consommateurs canadiens y trouvent aussi largement leur compte. Les prix des services de téléphonie mobile et d’accès à Internet ont considérablement reculé au cours des dernières années, malgré l’explosion de la demande pour la capacité de transmission de données. La consommation de données au Canada atteint en ce moment des sommets inédits, tandis que les vitesses de transmission n’ont jamais été si rapides et le coût du gigaoctet de données si avantageux. Peu de secteurs essentiels, que ce soit l’énergie, le logement, l’alimentation et les transports peuvent en dire autant.

Pour résumer, le secteur a démontré qu’il pouvait investir massivement et innover tout en offrant aux consommateurs de meilleurs prix et plus de valeur. Sa capacité de poursuivre dans cette voie dépendra toutefois du maintien d’un écosystème réglementaire favorable.

Lorsque les autorités adoptent des règles qui découragent les investissements, par exemple, une politique réglementaire sur l’accès aux services de gros qui tue dans l’œuf tout intérêt pour des projets de construction, ou des politiques de consommation qui multiplient les coûts de conformité sans améliorer l’offre, elles risquent de priver de ressources les réseaux dont le Canada a absolument besoin pour réaliser les grands projets dont son avenir dépend.

Autrement dit, l’aboutissement des grands projets du Canada passe par la création de conditions favorables aux investissements massifs nécessaires à l’existence de réseaux de télécommunications étendus.

À défaut d’un arrimage solide entre les politiques de télécommunications et celles qui régissent l’industrie, le Canada pourrait rater ses objectifs plus larges. La productivité des grands projets qu’il caresse ne pourra être optimale sans la connectivité que seuls des réseaux de prochaine génération peuvent offrir. Les entreprises qui exploitent les données vont tout simplement mettre le cap sur d’autres marchés, ce qui causera des pertes d’emplois, ralentira la croissance et fera disparaître les occasions qui s’offrent aux économies à l’avant-garde de la conversion numérique.

Le Canada peut continuer à jouer un rôle de premier plan, mais un changement de vision s’impose. Nous devons reconnaître que les télécommunications sont des infrastructures aussi essentielles que les oléoducs, les ports et les réseaux électriques. Au même titre qu’ils élaborent des politiques pour encourager la construction d’autres infrastructures essentielles, les gouvernements doivent s’assurer que les politiques et la réglementation qu’ils mettent en place encouragent les fournisseurs de services dotés d’installations de transmission à continuer d’investir dans leurs immobilisations.

Les projets d’intérêt national ne peuvent être menés à bien que s’ils reposent sur de solides assises. Dans la présente conjoncture économique, ces assises sont des réseaux de télécommunications résilients de calibre mondial. Tous les fournisseurs d’infrastructures de télécommunications du Canada souhaitent continuer d’investir dans leurs infrastructures. Reste à savoir si le gouvernement mettra en place des politiques compatibles avec cette ambition ou au contraire, des politiques qui lui feront obstacle.

Car une chose est certaine, il ne peut pas y avoir de grands projets sans réseaux de télécommunications.

Robert Ghiz est président et chef de la direction de l’Association canadienne des télécommunications et a été premier ministre de l’Île-du-Prince-Édouard.

[Texte d’opinion publié initialement en anglais dans l’édition du 29 octobre 2025 du Hill Times.]